Récit par Jean Dautrement dans un article datant du 14 octobre 1944 "Le parachutage tricolore du 14 juillet" adressé au Directoire du M.L.N.


13 juillet 1944, 20 heures environ, je suis avisé par Gérard, régional C.O.P.A. (Comité d'Organisation des Parachutages et Atterrissages), que l'opération prévue doit avoir lieu demain matin 14 juillet.

Il est tard, les nombreuses petites opérations de parachutages auxquelles j'ai assisté me donnent une idée du matériel dont nous allons avoir besoin : je fonce donc avertir le colonel Hervé (Colonel René Paul Elie Vaujour) que je joins vers 20h30 et qui, immédiatement, donne les ordres pour que toutes les mesures de sécurité soient prises.

Je rentre donc, car je suis chargé du rassemblement des éléments à Argentat pour le 14 à 6h du matin.

 

14 juillet 1944. Vers 6h30, la compagnie du lieutenant Barthez arrive sur le champ de foire d'Argentat suivie de peu par la voiture du lieutenant Moulu qui m'informe qu'un incident malheureux nous privera de 12 camions rassemblés la veille à Biars et qu'une partie des effectifs ne pourra nous être accordée, car elle se trouve retenue ailleurs, tous les bouchons devant controler les routes de Tulle et Brive se trouvent en place.

Suivant les instructions qui m'avaient été données, je dirige la compagnie Barthez au pont de Merle afin de contrôler le G.C. qui vient de vers la R.N. 120.

En compagnie de Martet, Le Moal et Chevalier, je me rends au point indiqué, terrain du Quinsac entre St-Julien-aux-Bois et Pleaux.

 

Vers 7h30 nous arrivons à (...) où nous trouvons (...) (...) et nous envoie du matériel roulant. J'avais fait alerter également la Compagnie Coulon (Nord-Africains) afin d'avoir sur le terrain la main d'oeuvre destinée au rammasage du matériel.
A l'intersection de la R.N. 680 et du chamin conduisant au terrain, un service d'ordre fonctionne déjà. Nous camouflons notre voiture et ragagnons à pied le terrain. (...) les dirigeants C.O.P.A. qui commencent à faire allumer les feux destinés à servir de points de repère aux avions ; il règne une cedrtaine effervescence , car nous allons assister au premier parachutage de jour qui doit être d'une certaine importance... et ce matin vers 6h le "mouchard" allemand est déjà passé. Y aura-t-il une réaction de la part de nos ennemis ? Nous ne le croyons pas car toutes le mesures de sécurité sont prises mais il faut être prudent. Le temps semble long, les hommes discutent par petits groupes, chacun émet ses suppositions. 

Le colonel Hervé, chef départemental A.S. ( Armée Secrète) arrive sur le terrain ; il vient nous rejoindre. Je le met au courant des dispositions prises pour palier au manque de matériel dû à l'incident de Biars et à celui de la main-d'oeuvre dû à l'impossibilité d'envoyer les effectifs prévus ; il parait satisfait.

Il est 10h environ, alerte... un vrombrissement se fait entendre à l'ouest, direction Argentat ; le temps est clair, tous les regards sont tendus vers cette direction. 
Une exclamation jaillit : ils sont là... Les avions, en effet, volant en formation serrée paraissent à l'horizon d'un seul bloc qui brille au soleil : ils ressemblent à une grosse nappe d'acier qui étincelle. Tout le monde est en délire : "Les voilà ! les voilà !". Puis, tout à coup c'est pour nous une grande désillusion : les "zincs" semblent décrire un grand cercle et partent à l'opposé du terrain. Qu'y-a-t'il ? Nous sommes perplexes. Nous saurons plus tard que cette formation était celle qui devait parachuter sur le terrain de Chassat. Notre déception est de courte durée ; droit au sud, venant sur nous, nous apercevons une nouvelle formation. Les hourras retentissent à nouveau. Déjà les chasseurs d'ecorte, hauts dans le ciel, nous survolent ; la formation de bombardiers s'avance, ils approchent : les voilà, trois, six, neuf, quinze, vingt-quatre... il y en a vingt-quatre !... Ils passent au dessus de nous dans un bruit de tonnerre ; chacun les acclame en agitant l'objet qu'il a sous la main... les feux redoublent d'intensité ; une fusée rouge part d'un bombardier, c'est pour le signal "aperçu".

Enfin nous les aurons : ce sont tous des Américains. Ils foncent vers le nord pour aller prendre le terrain dans le sens indiqué (sud-nord).

A peine cette vague passée, ce sont de nouvelles acclamations : une deuxième vague parait à l'horizon : c'est un nouveau délire. Cette 2e vague passe en suivant la même direction que la première ; les chasseurs vont, viennent, font des accrobaties ; par moment les mitrailleuses tirent quelques rafales, tout le monde est en joie, les boches ne pourront réagir, nous les tenons...

Après la deuxième vague, voici la troisème vague ; même délire, mêmes acclamations. là-bas, à l'ouest, revenant vers le sud, loin, très loin, la première vague suivie de la deuxième va se mettre en ligne ; les avions brillent sous un soleil radieux, c'est un spectacle magnifique. 

Attention... attention... La première vague a pris sa "ligne", elle fonce sur nous, le régime des moteurs s'accélère, ceux qui voient un parachutage pour la première fois courent vers les bois, nous autres, nous restons là ; les avions volent sur trois rangs qui plafonnent, le premier très bas, le second, plus haut, et le troisième encore plus haut, ceci, sans doute pour que les parachutes ne s'accrochent pas entre eux. 
Les voilà enfin, ils passent ; la tête renversée, le regard tendu, nous attendons. Ils sont si bas que nous apercevons les aviateurs qui nous adressent des signaux amicaux ; nous leur répondons ; les hourras se perdent dans les vrombrissements infernaux des moteurs.
Enfin, ça y est. Des avions se détachent, des grappent multicolores de parachutes au bout desquels se balancent (...)(...) les containers viennent de tous cotés, les parachutes s'abattent et forment sur le terrain des plaques qui le font ressembler à un damier multicolore.

Voici la deuxième vague, puis la troisième, partout des parachutes et des parachutes, le spectacle est vraiment beau.

Les chasseurs continuent leurs rondes, passent à ras des arbres, tous les assistants sont figés de stupeur, personne n'attendant rien de tel. Enfin, ça y est, les bombardiers foncent maintenant vers le sud, ils vont regagner l'Algérie.

Pendant un long moment encore, les chasseurs vont nous faire jouir du spectacle de leurs prouesses : nous assistons à quelques kilomètres de distance à un parachutage semblable destiné aux F.F.I. (Forces Françaises de l'Intérieur) du Cantal.

Le spectacle est terminé. Il faut penser au travail. Je contemple un instant le colonel Hervé souriant qui m'interpelle : " Eh bien, vieux... dire que nous avons passé tant de nuits à attendre ! " Cela est vrai : je me rappelle ces moments là : un avions faisait notre joie, cinq ensemble avaient été le record et ce matin, en plein jour, il venait d'y en avoir 72.

Sans seulement penser à déjeuner, nous commençons par le pliage des parachutes, les camions A.S. et F.T.P. (Francs Tireurs et Partisans) arrivent sur le terrain, il est tard, l'enlèvement presse. Le partage aura lieu demain, pour aujourd'hui nous nous contentons du contrôle à la sortie. 
Le terrain devient une fournillière ou grouillent des centaines d'hommes : les camions vont et viennent, chargent et s'en vont ; les petites camionnettes vont chercher les "containers" les plus éloignés et les rassemblent au point de chargement des camions.

Vers 17h, alors que tout parait aller, nous décidons d'aller jusqu'à St Privat, déjeuner un brin chez Célérier.
Tout va bien, l'évacuation continue normalement jusque vers 20h. Il ne reste plus rien, sauf les parachutes égarés qui seront rassemblés le lendemain par l'équipe. 
Après une halte à notre dépot de Lachamp, près de St Privat, nous rentrons contents mais fatigués, laissant la garde des "containers" à une section de la compagnie Barthez.

Ainsi, grâce au dévouement de tous et surtout de l'allant de Célérier et de ses compagnons, des tonnes d'armes viennent d'être stockées pour reprendre de plus belle la chasse à l'envahisseur.

A Argentat, qui eut la chance de voir évoluer tous ces avions et qui fut, parait-il, en délire, nous offrimes, Martet, Le Moal, Chevalier et moi-même, l'apéritif à notre colonel qui ensuite regagna son P.C.

Il faut penser à nous séparer car demain il y aura partage ; cette nuit, plus d'un esprit reverra dans un rêve l'ahurissant spectable de ce 14 juillet 1944.
 

 

Colonel René Paul Elie VAUJOUR

(alias Colonel Hervé )